J’aurais aimé vous dire ce poème en arabe, la langue de mon père mort mais je ne parle pas l’arabe. J’ai cru par la colère que produit le vide, ou le vide que produit la colère, qu’il ne me l’avait pas donné. Puisque les langues sont une richesse, un bien qui est transmis, dont on hérite de droit : l’arabe, lui, il ne me l’a pas donné.
Mais ce n’est pas tant mon père qui ne m’a pas donné sa langue-mère, qu’il l'a dû la jeter à la mer pour épouser ma mère.
Quand on s'en va à 17ans, Les poings dans [ses] poches crevées. Quand on quitte un chez soi par une route sans retour sans se retourner, comment tout conserver, de ce que l'on est, de ce que l'on a.
C’est pour ça sans doute qu’il ne me l’a pas donnée, et de ne pas m’avoir donné sa langue c’est comme de l’avoir abandonnée.
Le dire ainsi c’est encore nourrir la douleur, celle qui empêche de reconnaître ce que l’on est autant que ce que l’on saura pas être.
Papa, je porte le prénom de ta mère mais je ne parle pas ta langue-mère. Qui m'a spolié de ce territoire qui nous appartenait ?
La langue, comme le prénom, donné pour faire face aux autres faces, s’incarner et se figurer quand les lèvres s'ouvrent et se fissurent pour dire et appeler, nommer et désigner ce qui est, par-delà soi.
Ton nom à toi, c’est Mohamed, Mohamed Tabta.
C’est pour toi, par l’absence de toi que je dirais ces mots, supportés par ce souffle étroit qui court : ma voix, ma foi, poème pour celle que j’aime, c’est un frère, c’est ma sœur, mon miroir, ma douleur, ma main gauche, celle qui n’a jamais parlé. C’est mon poing, ma colère, ma prière, Palestine, papalestine, tout le monde t’a-t-il oublié, où tu es ? Où es-tu Papa, Papalestine, qui t’as-tu et tué ?
Cette douleur n’est pas tienne.
C’est parce qu’on t’a spolié que tu l’as supportée comme la seule chose qu’on ne pourrait te retirer, cette douleur, elle a fini par m’occuper, me posséder, me déposséder.
Mon imaginaire, ce territoire occupé, colonisé par ceux qui disent et disaient que ta langue, la langue de mon père, c’est celle de l’indigène, du barbare, celui qu’on doit civiliser.
Ta langue à toi s’est chargée de vin et de non-dits. Tu t’es tue et tué, la voiture tonneau t’a roulé, expulsé et à ta terre est retourné, là où ta fille ne peut parler, étrangère parmi les frères du père, sans la langue-mère.
Cette langue, que je ne parviens pas à faire mienne parce que l’interdit, entre nous dit, sans mots dire me maudit maton m’a-t-on dit.
Cette langue que je veux qu’on me donne comme un baiser, le souffle chaud dans ma gorge, la poitrine gonflée par ses mots courant le long de mes idées, une rivière de sons, de syllabes rugueuses, d’inflexions sifflantes, chantantes s’étouffent dans une gorge nouée, et se perdent avant de se dire sous les coups dans mon cou trop long et las, last frontière avant les lèvres cousues des liens de mes attachements.
Ouvrir la bouche.
Laisser filer, quitte à les déchirer ces lèvres écorchées.
Rompre les fils ourlés de mains en mains, ne plus se taire ni se terrer, porter la voix, ouvrir sa voie, même si personne derrière soi.
Mélodie Drissia Tabita ibna (ابنة ) Mohamed Tab'ta
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